L’été en alpage – une vie au rythme du troupeau
En Europe, ceux qui y séjournent sont aujourd’hui bien rares. Mais dans la paisible vallée des Fonts, aux confins du Queyras et de l’Italie, une famille d’irréductibles passe encore la belle saison à l’alpage des Chalps, les Brunet du GAEC du Lasseron.
Après le village de Cervières, une petite route grimpe en quelques lacets avant de déboucher sur une large vallée bucolique. Cette vallée est restée hors du temps qui court trop vite dans les contrées plus peuplées. Sur la droite, le massif du Lasseron, refuge des chamois, trône au-dessus du marais de Bourget. Sur la gauche, les pentes sont parsemées de hameaux d’été. Avant l’arrivée aux Chalps, la vallée se rétrécit un peu et la route traverse une languette de la forêt de mélèzes qui couvre les versants nord. Quand je retrouve les prés, un petit troupeau de chèvres se balade sur les bords de la Cerveyrette.
Puis, Gentiane part faire les foins au Bourget et je pars avec Françoise à la recherche de vaches en vadrouille. Cela fait 34 ans que Françoise accompagne son troupeau de chèvres et de vaches dans la vallée des Fonts. Autrefois, la famille de son mari François y montait avec les autres paysans de Cervières. Les dix premières années, Françoise et François passaient le mois de juin autour du Laus, le temps de faire les foins là-bas. Mais Françoise n’a plus voulu y aller. « Il n’y avait plus d’endroit propre pour se poser pour garder les bêtes, on trouvait des petits cadeaux des campeurs derrière chaque buisson et chaque ballon de foins ».
Les gens se retrouvaient, partageaient les veillées et le travail. Entre femmes, elles se relayaient pour garder les vaches. Pour 4 vaches, elles devaient un jour de garde, pour 8 vaches 2 jours et ainsi de suite. Quand Françoise est arrivée, elle a participé à ce tour de rôle pendant quelques années. Pour elle, son jour de garde était comme un jour de congé. Certes, elle marchait pour emmener les vaches au pâturage, mais c’était bien plus tranquille qu’une journée en bas à la bergerie. Les femmes faisaient la traite, les fromages et le beurre et elles gardaient les enfants pendant que les hommes fauchaient. Le matin, celle qui était de garde récupérait des vaches devant chaque maison. Vers la fin des années 90, ils n’étaient plus que deux familles à monter leurs bêtes aux alpages de la vallée des Fonts. Quand les anciens ont arrêté, les Brunet ont commencé à faire des parcs pour les vaches.
« Quand on veillait, Augustine nous faisait des croquants et Alphonse nous racontait sa jeunesse. Maintenant, il n’y a plus que nous. Ça nous pèse qu’il n’y ait plus personne. Du coup, on couche un peu plus souvent en bas. »
Françoise apprécie beaucoup de descendre au marché de Briançon voir du monde mais quand c’est fini, elle est bien contente de quitter la foule et de remonter dans sa vallée paisible.
C’est la traite qui les maintient en alpage. Ils ont une quinzaine de vaches laitières, huit allaitantes, des génisses ainsi qu’une cinquantaine de chèvres. Chacune a son nom car à force de les voir naître et grandir une vraie complicité se crée entre bêtes et éleveurs.
Au sein de la famille, ils se partagent le travail. Leurs journées sont rythmées par les chèvres et les vaches ainsi que par les saisons.
En plein été, ils font la traite vers 6h30 – 7h le matin et vers 17h30-18h le soir. Ils gardent les chèvres jusqu’à 21h. L’automne, leurs journées s’écourtent avec le soleil. La traite du matin est repoussée à 8h et la traite du soir est décalée à la tombée de la nuit pour ne pas avoir à garder les chèvres le soir.
la garde, la fabrication et la vente des fromages, les foins et l’entretien des parcs à faire. Françoise et Lise s’occupent de la traite des chèvres, Myrtille et Gentiane des vaches. Lise fait le fromage, Gentiane les foins. François monte la garde. Avant, ils laissaient les chèvres en liberté la journée, mais depuis trois ans ils les gardent à cause du loup. Au printemps et à l’automne, ils font les pommes de terre tous ensemble et ils ont un gros potager à Cervières. Leur fils Martin est installé à son compte et leur deuxième fils habite à l’étranger. Françoise a fait l’école à la maison pour ses cinq enfants et maintenant elle le fait pour ses petits-enfants. « Quand les enfants étaient petits, la montée en alpage était le début des grandes vacances pour eux. Là-haut, ils couraient de partout et faisaient des cabanes dans la forêt. »
L’hiver, toute la famille revient dans la grande ferme au village où ils proposent des visites avec la tétée des chevreaux pendant les vacances. Ils vendent les fromages aux Chalps l’été, à la ferme l’hiver et toute l’année au marché de Briançon.
« La vie en alpage est intense, il faut être partout à la fois, mais c’est vert, on est dehors et ça me plait », conclut Françoise.
Nous sommes restées quelques temps assises dans l’herbe à discuter, tout en guettant les cloches des vaches en-dessous. Maintenant, nous rejoignons François à la bergerie pour un café rapide et puis c’est reparti. Les chèvres chôment encore tranquilles au soleil, mais les vaches se sont de nouveau échappées. Françoise s’en va en courant, suivie par ses deux chiennes, une jeunette et une qui a peur des vaches.
Les vaches attendent tranquillement la traite et Françoise profite du calme pour s’occuper des fromages. Le soleil passe derrière les crêtes et la lumière s’adoucit à l’arrivée du soir. L’air paraît velouté après la chaleur de la journée. J’ai envie de rester là encore un peu, me laissant envelopper par la quiétude, adossée à un mur en pierre encore chaud. Je regarde les chèvres passer en file indienne, c’est l’heure de la traite. Derrière, un couple âgé suit avec leur bâton de berger, les derniers alpagistes de la vallée des Fonts. Mais pour eux, la relève semble assurée.
Ferme du Lasseron à Cervières : Vente de fromages à la ferme l’hiver, à l’alpage des Chalps (vallée des Fonts de Cervières) l’été et au marché de Briançon toute l’année.